Chômage : les syndicats et le patronat priés de trouver entre 1 et 1,3 milliard d'économies par an

Chômage : les syndicats et le patronat priés de trouver entre 1 et 1,3 milliard d'économies par an

24.09.2018

Représentants du personnel

Le gouvernement va demander aux organisations syndicales et patronales de négocier une profonde révision des règles de l'indemnisation du chômage, tout en exigeant une accélération du désendettement du régime. Le patronat craint toujours de se voir imposer un bonus malus. Les syndicats dénoncent une vision comptable qui conduirait à une baisse des droits pour les salariés.

La méthode rappelle celle de la concertation sur les ordonnances réformant le code du travail et les instances représentatives du personnel : le gouvernement, qui distille le chaud et le froid, reçoit les organisations syndicales et patronales pour discuter des réformes à venir (en l'occurrence, de l'assurance chômage, voir notre article) mais il se garde bien de leur communiquer un document écrit, le but étant de contrôler l'information et donc de garder le jeu ouvert jusqu'au dernier moment. "Cela permet au gouvernement de nous tester sans rien dire de ses intentions finales. Mais nous, nous avons besoin d'un texte précis pour travailler et nous positionner", pestait ainsi un négociateur syndical avant la réunion. Pour l'instant, la méthode produit un résultat paradoxal : pour des raisons parfois différentes, syndicats et patronat critiquent publiquement le gouvernement, mais personne n'ose encore franchir le rubicon et déclarer qu'il sort du jeu contractuel et refuse de négocier. Reste à savoir ce qu'il en sera dans quelques jours, quand tous les acteurs, qui affichaient le 11 juillet leur volonté d'autonomie face à l'Exécutif, auront en main le document fixant les objectifs du gouvernement pour les modifications touchant à l'indemnisation du chômage et à la "trajectoire financière" du régime.

Le gouvernement met la pression pour faire baisser l'endettement

Vendredi après-midi, durant deux heures et demie au ministère du Travail, les partenaires sociaux ont ainsi eu droit à une évocation orale des orientations de la lettre de cadrage que le gouvernement va leur faire parvenir mardi ou mercredi prochains. Ce document fixera les objectifs que l'Exécutif assigne aux partenaires sociaux pour renégocier une nouvelle convention d'assurance chômage. L'élément le plus tangible de cette lettre de cadrage ou d'orientation sera le montant d'économies que les syndicats et le patronat sont priés de trouver afin de réduire l'endettement du régime : le gouvernement exige qu'ils s'engagent à diminuer la dette du régime entre 1 milliard et 1,3 milliards d'euros par an pendant 3 ans (soit entre 3 et 3,9 milliards), contre environ 800 millions d'économies annuelles déjà dégagées par la dernière négociation.

Ces économies, justifie le gouvernement, sont le gage de l'avenir d'un régime qu'il faut préparer à un retournement ultérieur de conjoncture. Autrement dit, il faut faire des économies quand la croissance est là et que le chômage recule, afin d'assurer demain une indemnisation aux nouveaux demandeurs en cas de remontée du chômage. Mais ces économies vont de pair avec l'accroissement des dépenses du régime prévu par la dernière convention négociée elle aussi sous la pression du gouvernement. L'on estime à 1,2 milliards de dépenses nouvelles le coût dans les 3 ans à venir de l'indemnisation des indépendants et des démissionnaires.

Cela signifie une baisse généralisée des droits

 

"L'état d'esprit de cette réunion ? Des économies, des économies, des économies sur le dos des demandeurs d'emploi. Cela signifie une baisse généralisée des droits", a résumé abruptement Michel Beaugas, le négociateur FO, en sortant du ministère. "Nous avons l'impression que le gouvernement veut faire porter aux partenaires sociaux la responsabilité des économies qu'il veut faire sur l'endettement de l'Unedic", a renchéri Jean-François Foucard, le négociateur CFE-CGC.  "On ne nous demande pas de négocier pour apporter des solutions au problème de l'emploi mais seulement sur des questions d'arbitrage financier", a abondé Denis Gravouil, le négociateur CGT.

Si l'on veut faire des économies, commençons par réduire le nombre de chômeurs

 

Le patronat s'est lui aussi montré réservé. "Si l'on veut faire des économies sur un régime d'indemnisation, il faut commencer d'abord par réduire le nombre de sinistres, autrement dit faire baisser le nombre de chômeurs", a dit Jean-Michel Pottier, de la CPME, tandis que Hubert Mongon, le négociateur du Medef, s'est montré très prudent : "Nous serons très attentifs à la façon dont la lettre de cadrage sera rédigée".

A ce propos, le ministère semble ne pas vouloir explicitement mentionner les mots de bonus-malus dans la lettre de cadrage. Mais le document pourrait évoquer néanmoins la nécessité d'un mécanisme "responsabilisant les entreprises". Le patronal fait-il remarquer qu'un dispositif allégeant ici les cotisations des entreprises vertueuses en matière de contrats précaires et alourdissant au contraire les entreprises qui le sont moins pénaliserait certains secteurs ? L'argument est balayé au ministère du Travail puisque, y dit-on, des entreprises de même taille et d'un même secteur ont parfois des politiques de ressources humaines très différentes. Bref, le gouvernement fait toujours planer la menace d'imposer seul un dispositif de bons malus au cas où les partenaires sociaux renâcleraient une nouvelle fois à négocier sur le sujet. Bluff ou réelle volonté ? A suivre...

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Règles d'indemnisation : le gouvernement veut changer la donne

L'autre grand thème concerne bien sûr l'évolution des règles d'indemnisation. Ici, le ministère du Travail soutient que ce sont les règles d'indemnisation actuelles, et les effets produits par exemple par la combinaison des droits rechargeables avec le cumul emploi et allocation, qui sont à l'origine de "la dualité du marché du travail" avec un nombre important de CDD, de contrats précaires et de situations de "permittence" (travail intermittent entrecoupé d'indemnisations). Il faudrait donc modifier ces règles afin de favoriser un retour à l'emploi, au moment où de nombreuses entreprises, souligne le ministère, peinent à trouver des compétences. La lettre de cadrage devrait donc demander aux partenaires sociaux de revoir :

  • le calcul du salaire journalier de référence qui sert à établir le montant de l'allocation d'un demandeur (le salaire journalier prend en compte tous les salaires bruts perçus au cours des 12 derniers mois, hors indemnités de rupture), un calcul qui serait source d'inégalités selon le gouvernement;
  • les droits rechargeables, un dispositif visiblement jugé trop coûteux par le gouvernement qui le rend responsable de provoquer un surcroît de contrats courts. A ce propos, Marylise Léon, de la CFDT, s'est insurgée contre une telle lecture : "Non, les droits rechargeables ne sont pas responsables de la précarité", a-t-elle dit à la sortie du ministère en priant le gouvernement de sortir d'une stricte logique budgétaire;
  • le cumul allocation-salaire (si l'on comprend bien, le ministère souhaite inciter un salarié ayant plusieurs employeurs à en chercher un nouveau lorsqu'il en perd un au lieu de percevoir une allocation chômage).

En outre, le gouvernement souhaite voir mis en place une sorte de dégréssivité des allocations pour les salariés les plus qualifiés au motif que ces derniers ont bien plus de chance de retrouver rapidement un travail. Une pierre dans le jardin de la CFE-CGC dont le président, François Hommeril, n'a eu de cesse de rappeler ces derniers jours la forte contribution des cadres au financement du régime.

Enfin, le gouvernement évoque la possibilité d'une autre concertation pour définir ce qui relève de la solidarité de ce qui relève de l'assurance chômage.

4 mois pour négocier, s'il y a négociation

Si les syndicats, qui pourraient se prononcer la semaine prochaine, et le patronat, qui se donne davantage de temps, décident d'engager des négociations sur la base du cadrage fixé par le gouvernement, ils auront quatre mois pour trouver un accord. Trop peu pour s'accorder sur tous ces changements ? Le ministère du Travail répond avec aplomb que 4 mois, c'est plus qu'il n'a fallu pour les concertations sur les ordonnances et sur la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Ambiance...

Bernard Domergue
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