Ebranlé au Royaume-Uni, KPMG entame une autre manche

Ebranlé au Royaume-Uni, KPMG entame une autre manche

13.11.2018

Gestion d'entreprise

Le cabinet veut arrêter de fournir presque tous les services non audit aux entreprises cotées sur le FTSE 350 dont il audite les comptes. Cette opération est destinée à éviter de se trouver en situation de conflit d'intérêts et à anticiper une éventuelle modification de la réglementation. Cela contribuera-t-il à redorer le blason de KPMG au Royaume-Uni ?

"Nous ne commentons pas cette affaire". C’est la réponse que KPMG Royaume-Uni vient de nous faire après les allégations de plusieurs médias. Selon le site Sky news, qui prétend avoir sorti le sujet en premier, la branche britannique du cabinet prévoit de ne plus fournir de services non audit non essentiels aux entreprises du FTSE 350 dont il audite les comptes. Cette révélation provient d’une note envoyée par Bill Michael, le président de KPMG outre-Manche, le 6 novembre dernier aux 625 associés. "Afin d’éliminer même la perception d’un conflit possible, nous travaillons actuellement à la cessation de la fourniture de services non audit (autres que ceux étroitement liés à l’audit) aux sociétés du FTSE 350 que nous auditons", écrit-il.

Carillion, le scandale qui sonne KPMG

Cette révélation intervient alors que KPMG est fragilisé au Royaume-Uni. Notamment après le scandale Carillion, un géant du BTP dont il auditait les comptes depuis l’origine, en 1999. Liquidé en janvier 2018, ce groupe a disparu en laissant derrière lui une dette de 7 milliards de livres sterlings contre seulement 29 millions de cash. Pourtant, il présentait quelques mois plus tôt une santé financière florissante… en apparence. En juin 2017, il distribuait 55 millions de livres sterlings de dividendes. Deux mois plus tard, cette entreprise aux 43 000 employés dans le monde lançait deux alertes sur les résultats pour un montant total d’environ 1 milliard de livres sterlings relatif à des provisions. Ce qui correspond aux bénéfices cumulés sur les 7 années précédentes ! "En échouant à exercer — et à exprimer — un scepticisme professionnel à l’égard des jugements comptables agressifs de Carillion, KPMG s’en est rendu complice", résume un rapport parlementaire qui ne comprend pas que le cabinet n’ait jamais émis de réserve. Un diagnostic contesté par KPMG qui considère notamment que cela ne reflète pas le travail difficile et l'engagement de l'équipe d'audit.

Critique du superviseur de l’audit

Dans ce dossier, une autre enquête a été engagée, celle du financial reporting council (FRC), le superviseur de l’audit outre-Manche. Même s'il n'a pas encore publié ses conclusions, le FRC porte un regard très critique sur l’ensemble du travail d’audit de KPMG. "Il y a eu une détérioration inacceptable de la qualité [d’audit] de KPMG. 50 % des sociétés du FTSE 350 auditées par KPMG exigeaient davantage que des améliorations limitées, comparées à 35 % l’année précédente", résumait le FRC en juin dernier lors de la publication de son dernier rapport d'inspection. Lui-même critiqué, le FRC a publié le mois dernier un document dans lequel il considère que "le public reste préoccupé par le fait de savoir si la fourniture de services non audit [par l'ensemble des cabinets] ébranle l’indépendance de l’auditeur". Conséquence : le FRC s’est engagé à examiner si ses normes d’audit et d’éthique modifiées en 2016, qui interdisent à l’auditeur de fournir certains services non audit, répondent à ce sujet. Parallèlement, l’autorité britannique de la concurrence, le CMA (competition and markets authority), conduit une étude sur ce marché. Pour répondre aux inquiétudes grandissantes, il évalue notamment la pertinence de séparer davantage l’audit et le conseil.

Anticipation de KPMG ?

On peut donc se demander si KPMG n’anticipe pas une séparation plus forte qui serait imposée. "De façon générale, et pas seulement en ce qui concerne KPMG, j’ai la conviction que la réduction de la capacité des cabinets à fournir une gamme complète de services, que ce soit de façon volontaire ou réglementaire, serait nuisible pour leur capacité à offrir de la valeur à leurs clients d'audit", considère Jim Peterson, un observateur avisé du marché de l’audit dans le monde. Outre la question essentielle de l’effet de cette mesure sur la restauration de la confiance, se pose une question de viabilité : KPMG a-t-il les moyens de ne plus fournir — ou en tout cas beaucoup moins — de services non audit aux entreprises du FTSE 350 dont il audite les comptes ? Ce point est essentiel dans la mesure où une dégradation importante de ses revenus pourrait faire fuir ses associés et potentiellement détruire le réseau dans sa globalité. En 2017, ces services non audit (pour les entreprises du FTSE 350 dont KPMG audite les comptes) ont été facturés 79 millions de livres sterlings, ce qui représente 40 % des honoraires d’audit (toujours pour les entreprises du FTSE 350 dont KPMG audite les comptes), selon le FRC. Est-ce supportable pour KPMG Royaume-Uni ? Cela représente 3,64 % de son chiffre d’affaires 2017 (clos au 30 septembre 2017) qui s'élève à 2,17 milliards de livres sterlings — idéalement, il faudrait connaître l’impact de la disparition éventuelle de ces 79 millions de livres sterlings de services non audit sur le bénéfice du cabinet. Le sujet serait encore plus délicat s’il s’agissait d’arrêter l’ensemble des services non audit fournis à tous les clients d’audit. Le chiffre d’affaires en jeu s’élevait là à 221 millions de livres sterlings en 2017, selon un autre document du FRC, soit plus de 10 % de l'activité annuelle. On voit mal comment KPMG pourrait abandonner un tel pactole… à moins de le récupérer auprès des clients non audit.

Ludovic Arbelet

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