Effets du projet de loi Pacte sur les obligations comptables

12.11.2018

Gestion d'entreprise

Le projet de loi Pacte redéfinit les seuils de nomination des commissaires aux comptes, leurs missions en cas de nomination volontaire et poursuit l'allègement des contraintes comptables pesant sur les entreprises.

Le projet de loi Pacte qui a été adopté, en première lecture par l’assemblée nationale, le 9 octobre 2018, comporte un ensemble de mesures destinées à favoriser la croissance et la transformation des entreprises. La discussion doit reprendre devant le Sénat en janvier 2019. Parmi les 73 articles du projet de loi, plusieurs dispositions sont destinées à allégées les contraintes comptables des entreprises et, en particulier, des plus petites. Le projet de loi Pacte réforme également en profondeur le commissariat aux comptes et plus particulièrement son périmètre d’intervention.

Seuils de nomination des commissaires aux comptes

Après avoir renforcé l’indépendance des auditeurs, déconcentré le marché de l’audit et, plus généralement, amélioré la qualité de l’audit depuis quelques années en réponse aux dysfonctionnements révélés par la crise financière de 2008,  Curieusement, la certification des comptes est jugée comme « n’apportant aucune valeur ajoutée » à l’économie française.

Sachant que « l’effet de la présence d’un commissaire aux comptes sur la qualité de la base fiscale et sur la capacité des petites entreprises à se financer n’est pas démontré » et que « l’audit légal constitue une charge proportionnellement plus élevée pour les petites entreprises », le projet de loi Pacte supprime l’obligation de faire certifier leurs comptes annuels pour les petites et moyennes entreprises.

A l’heure actuelle, les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions sont tenues de désigner un commissaire aux comptes dans tous les cas, à la différence des autres formes de sociétés commerciales, qui ne sont tenues à cette obligation que lorsqu’elles dépassent une certaine taille. Le projet de loi Pacte (art. 9) introduit des seuils pour la désignation d’un commissaire aux comptes par les sociétés anonymes et les sociétés en commandites par actions, afin de les aligner avec l’article 34 de la directive européenne 2013/34/UE du parlement et du conseil du 26 juin 2013 (JOUE, n ° L182, 29 juin 2019).

Comparatif des seuils actuels et des futurs seuils fixés par la directive  

Forme sociale

Seuils nationaux

Seuils du projet de loi Pacte  et de la directive n° 2013/34/UE

 

SA

SCA

Aucun seuil

 

Unités légales dépassant 2 des 3 seuils suivants (seuils européens de référence) :

- total du bilan : 4 M. d'euros

- CA HT : 8 M. d'euros

- Effectifs : 50 salariés

SARL

SNC

SCS

 

 

Unités légales dépassant 2 des 3 seuils suivants :

- total du bilan : 1,55 M. d'euros

- CA HT : 3,1 M. d'euros

- effectifs : 50 salariés

SAS

Unités légales dépassant 2 des 3 seuils suivants :

- total du bilan : 1 M. d'euros,

- CA HT : 2 M. d'euros,

- effectifs : 20 salariés

 

Si ces nouvelles dispositions sont retenues, les SA, les SARL et les SAS ne seraient tenues de faire contrôler légalement leurs comptes que lorsqu’elles dépassent deux des trois seuils suivants : 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de bilan et 50 salariés. Ces seuils qui seront fixés par décret en Conseil d’État pourront être différents de ceux qui figuraient dans l’exposé des motifs du projet de loi et qui correspondent aux seuils « européens ». En effet, les Etats membres peuvent adopter des seuils nationaux plus bas ou même supérieurs aux seuils prévus pour le total du bilan et le chiffre d’affaires dans la limite, respectivement, de 6 M. d’euros et de 12 M. d’euros.

Cependant, selon le projet de loi adopté par l’assemblée nationale :

  • même si les seuils réglementaires ne sont pas atteints, la nomination d’un commissaire aux comptes pourra être demandée en justice par un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital.
  • Les entités d’intérêt public : sociétés cotées et les entreprises du secteur de la banque et de l’assurance, nomment au moins un commissaire aux comptes sans effet de seuil.
  • Les personnes et entités qui contrôlent une ou plusieurs sociétés désignent au moins un commissaire aux comptes lorsque l’ensemble qu’elles forment avec les sociétés qu’elles contrôlent dépasse les seuils fixés par décret pour deux des trois critères suivants : le total cumulé de leur bilan, le montant cumulé hors taxes de leurs chiffres d’affaires ou le nombre moyen cumulé de leurs salariés au cours d’un exercice. Cette disposition ne s’applique pas si la personne ou l’entité qui contrôle une ou plusieurs sociétés est elle-même contrôlée par une personne ou une entité qui a désigné un commissaire aux comptes.
  • De même, les sociétés contrôlées par ces personnes et entités dont le chiffre d’affaires du dernier exercice clos excède un seuil défini par décret désignent au moins un commissaire aux comptes dont le mandat est limité à trois exercices.

Les sociétés qui ne dépassent pas, pour le dernier exercice clos au jour de l’entrée en vigueur de la loi, les seuils fixés par décret pour deux des trois critères suivants : le total de leur bilan, le montant de leur chiffre d’affaires hors taxe ou le nombre moyen de leurs salariés au cours de l’exercice, pourront, en accord avec leur commissaire aux comptes, choisir que ce dernier exécute son mandat jusqu’à son terme.

Missions des commissaires aux comptes nommés volontairement

Selon le projet de loi adopté par l’assemblée nationale (art. 9), lorsque le commissaire aux comptes est nommé volontairement ou lorsqu’il est nommé par une société tête de groupe dont l’ensemble dépasse le seuil, son mandat peut être limité à trois exercices.

Le « nouveau » commissariat aux comptes facultatif – qualifié d’ « audit légal PE » - aurait les missions suivantes :

- outre le rapport sur la certification des comptes annuels et consolidés (C. com., art. L. 823-9), le commissaire aux comptes établirait, à destination des dirigeants, un rapport identifiant les risques financiers, comptables et de gestion auxquels est exposée la société. Le commissaire aux comptes d’une société tête de group. Ce rapport porterait sur l’ensemble du groupe. Notons que cette disposition, en demandant au commissaire aux comptes de faire un rapport identifiant les risques de gestion, contrevient à l’interdiction faite à celui-ci de s’immiscer dans la gestion (C. com. art. L. 823-10) ;

- le commissaire aux comptes serait dispensé de la réalisation des diligences et rapports sur les conventions réglementées (C. com. art. L. 223-19, L. 225-40, L. 225-42, L. 227-10 et L. 225-88), la convocation de l’assemblée générale des SA par le commissaire aux comptes (C. com. art. L. 225-103), la certification du montant global des rémunérations versées aux personnes les mieux rémunérées (C. com. art. L. 225-115), la suppression du droit préférentiel de souscription (C. com. art. L. 225-135), les observations sur le rapport des dirigeants sur le gouvernement d’entreprise (C. com. art. L. 225-235), la transformation de la SA (C. com. art. L. 225-244), le rapport sur les documents de gestion (C. com. art. L. 232-3 et L. 232-4), le rapport sur les prises de participation (C. com. art. L. 233-6), la mention de l’identité de certains associés et des sociétés contrôlées (C. com. art. L. 233-13), l’autorisation de la cession d’actif  à certaines personnes dans les sociétés en liquidation (C. com. art. L. 237-6) et certification de l’évaluation des actions ou parts sociales louées (C. com. art. L. 239-2).

En revanche, le commissaire aux comptes pourrait en outre fournir des services autres que la certification des comptes, et notamment établir des attestations. Ces dispositions renforceront sans nul doute la concurrence entre les deux professions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes. Des normes d’exercice professionnel homologuées par arrêté du ministre de la justice détermineront les diligences à accomplir par le commissaire aux comptes et le formalisme qui s’attache à la réalisation de sa mission, lorsque le mandat facultatif est limité à trois exercices.

Les simplifications comptables
Une nouvelle catégorie d’entreprises : les moyennes entreprises

Actuellement, Les micro-entreprises sont définies comme celles qui ne dépassent pas, au titre du dernier exercice comptable clos et sur une base annuelle, deux des trois seuils suivants : 350 K euros pour le total du bilan, 700 K euros pour le montant net du chiffre d’affaires et 10 pour le nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice. Les micro-entreprises ne sont pas tenues d’établir une annexe à leurs comptes annuels et elles peuvent demander, lors du dépôt de leurs comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, que leurs comptes ne soient pas rendus publics.

Les petites entreprises sont définies comme celles qui ne dépassent pas, au titre du dernier exercice comptable clos et sur une base annuelle, deux des trois seuils suivants : 4 millions d’euros pour le total du bilan, 8 millions d’euros pour le montant net du chiffre d’affaires et 50 pour le nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice. Les petites entreprises (y compris les micro-entreprises) peuvent adopter une présentation simplifiée de leurs comptes annuels.

Le projet de loi Pacte souhaite créer une nouvelle catégorie d’entreprises, les moyennes entreprises (art. 13 bis). Il s’agirait des entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 8 et 40 millions d’euros, le total du bilan, entre 4 et 20 millions d’euros et dont l’effectif n’excède pas 250 salariés.

Ces entreprises pourraient adopter une présentation simplifiée de leur compte de résultat et ne rendre publique qu’une présentation simplifiée de leur bilan et de leur annexe. De plus cette présentation simplifiée ne serait pas accompagnée du rapport des commissaires aux comptes, sauf pour les sociétés appartenant à un groupe.

Cependant, la publication de la présentation simplifiée devra être accompagnée d’une mention précisant le caractère abrégé de cette publication, le registre auprès duquel les comptes annuels ont été déposés, si un avis sans réserve, un avis avec réserves ou un avis défavorable a été émis par les commissaires aux comptes ou si ces derniers se sont trouvés dans l’incapacité d’émettre un avis et si le rapport des commissaires aux comptes fait référence à quelque question que ce soit sur laquelle ils ont attiré spécialement l’attention sans pour autant émettre une réserve dans l’avis. Il est dans ce contexte difficile de parler de simplification !

Rehaussement des seuils des petites entreprises

Suite à un amendement proposé, le niveau des seuils définissant les petites entreprises serait relevé mais pour deux mesures seulement : l’option pour la confidentialité du compte de résultat et la dispense de production du rapport de gestion.

Seuils définissant les petites entreprises

Seuil des petites entreprises

Seuils actuels

Seuils proposés

Chiffre d’affaires

8 M. d’€

12 M. d’€

Total du bilan

4 M. d’€

6 M. d’€

Effectif

50 salariés

50 salariés

 

Rappelons que la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 (JO 11 août) pour un Etat au service d’une société de confiance a supprimé l’obligation d’établir un rapport de gestion pour toutes les sociétés qui constituent des petites entreprises alors que depuis l’ordonnance n° 2017-1162 du 12 juillet 2017, seules les SARL et les SAS unipersonnelles en étaient dispensées (C. com. art L. 232-1).

La réorganisation d’une profession sinistrée

D’après un rapport établi par l’inspection générale des finances sur la certification légale des petites entreprises françaises, près de la moitié des mandats détenus par les commissaires aux comptes seraient amenés à disparaître, ce qui représenterait pour l’ensemble de la profession une perte d’un quart de son chiffre d’affaires. Un tiers des compagnies régionales pourraient, en raison des effets de la réforme, ne plus atteindre la taille critique permettant leur maintien. La réforme devrait donc entraîner à très court terme une évolution du rôle et de l’organisation de la profession.

La prorogation des mandats en cours est donc nécessaire pour que les candidats et les électeurs soient éclairés sur l’état de la profession au lendemain d’une réforme qui tend à en redessiner les contours et qui rendra nécessaire de procéder à des regroupements de compagnies régionales dès son entrée en vigueur. Ainsi, le décret n° 2018-857 du 8 octobre 2018 (JO 9 oct.) a prorogé pour une période de dix-huit mois les mandats des élus des conseils régionaux et du Conseil national des commissaires aux comptes.

Selon le Conseil d’Etat, consulté le 14 juin 2018, « une très grande majorité des commissaires aux comptes seront à même d’exercer l’activité d’expertise comptable grâce aux qualifications dont ils disposent. »

Ainsi, le projet de loi Pacte ( art. 9 bis) permettrait aux personnes titulaires de l’examen d’aptitude aux fonctions de commissaires aux comptes avant la date du 27 mars 2007 ou du certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes de demander leur inscription au tableau en qualité d’expert-comptable dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la loi. En réalité, on peut supposer qu’une minorité de professionnels sera amenée à bénéficier de cette mesure puisqu’une très grande majorité des commissaires aux comptes est également expert-comptable.

Guy Cosson, Commissaire aux comptes

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