Entre la mobilité électrique et l'exploitation responsable de minerai, faut-il choisir ?

Entre la mobilité électrique et l'exploitation responsable de minerai, faut-il choisir ?

14.11.2018

Environnement

Pointé du doigt par plusieurs études dont une très complète d’Amnesty International en 2016, l’approvisionnement en cobalt des entreprises qui produisent ou achètent des batteries pose toujours des probl��mes sociaux et environnementaux. Même pour les bonnes volontés, il n’est pas facile de changer la donne.

Les deux problématiques se télescopent. En France comme dans la plupart des pays développés, les volontés de lutter contre le réchauffement climatique et de limiter la pollution de l’air incitent à investir massivement dans la mobilité électrique. Et en République démocratique du Congo, où l’on produit plus de la moitié du cobalt incorporé dans les batteries des véhicules pour les stabiliser et en prolonger la durée de vie, l’exploitation du minerai pose des questions sociales, environnementales et sanitaires inacceptables.

"Il y a eu des progrès, mais bien insuffisants", regrette Lauren Armistead, spécialiste des droits de l’Homme chez Amnesty International. En 2016, l’ONG a publié un rapport impitoyable sur le sujet, dénonçant les pathologies des "creuseurs" qui travaillent à mains nues et des riverains exposés à des niveaux de pollution élevés (affections thyroïdiennes, problèmes respiratoires, anomalies congénitales…). À cela s’ajoutent les accidents du travail liés aux effondrements ou aux incendies et des conditions sociales elles aussi insupportables. Toutes les études concluent en particulier que les enfants jouent un rôle clé dans l’exploitation du cobalt.

Une demande en nette hausse

Alors que personne ne remet en cause ces conclusions, que faire de ce côté-ci de la mer Méditerranée ? Poursuivre la transition vers la mobilité électrique en fermant les yeux sur les problèmes qu’elle cause ? Considérer que même d’un strict point de vue environnemental, le remède est pire que le mal et qu’il vaut mieux arrêter les frais en continuant pour le moment à miser sur des carburants fossiles ?

Chez les constructeurs automobiles, mais aussi chez les fabricants de téléphones ou d’ordinateurs portables, on s’arrache les cheveux pour trouver un chemin qui évite ces deux écueils. Ce qui est d’autant plus dur que "la demande de cobalt est en train d’exploser", explique Christophe Pillot, directeur d’Avicenne, une société de conseil spécialisée dans les batteries.

Pas facile dès lors pour une entreprise de convaincre une direction financière d’ajouter encore un zéro à un chèque pour répondre à des critères d’extraction responsable. Pas facile non plus d’imposer quoi que ce soit à des fournisseurs qui n’ont que l’embarras du choix pour trouver des clients.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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L’intention est là, pas encore les résultats

La chaîne de valeur est extrêmement complexe : les fabricants achètent leurs batteries à des entreprises qui elles-mêmes se fournissent en cathodes produites par des sociétés en lien avec les acheteurs de cobalt. Les creuseurs sont eux en bout de ligne. Ils travaillent la plupart du temps dans des structures artisanales qu’il est difficile de contrôler.

L’instabilité du pouvoir politique local n’arrange rien. Lors d’une conférence nationale en RDC visant à limiter le recours au travail infantile en août 2017, Lauren Armistead a été agréablement surprise de découvrir "une stratégie positive", mais déçue par le peu de promesses concrètes.

Sous la pression, quelques entreprises occidentales comme Renault, Samsung ou Umicore commencent quant à elles à lancer leurs propres audits pour connaître l’origine de leur approvisionnement et à publier les listes d’entreprises avec lesquelles elles travaillent.

Parallèlement, les différents maillons de la filière tentent de s’entendre pour tracer le cobalt issu des mines industrielles respectueuses des normes. Encore faut-il qu’il ne soit pas mélangé avec du minerai dont l’origine est plus douteuse.

Jouer collectif ?

Le travail commence à peine. Au Japon, les grands constructeurs automobiles que sont Honda, Nissan et Toyota ont par exemple annoncé fin juillet qu’ils allaient créer un groupement d’achat financé en partie par des fonds publics pour s’approvisionner de manière coordonnée, stable, économique et responsable. Tous les fabricants de batteries japonais pourront se joindre au nouveau consortium.

A contrario, la volonté d’un acteur majeur de la mobilité électrique comme Tesla de supprimer la présence de cobalt dans ses véhicules est presque inquiétante. Certes, l’explosion des prix du minerai et la mainmise de la Chine sur le marché ont un rôle essentiel dans ce revirement stratégique. Mais ce choix montre peut-être avant tout que l’entreprise, très consciente de de l’enjeu socio-environnemental, a une foi mesurée dans sa capacité à faire toute la lumière sur son approvisionnement.

Olivier Descamps

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