[interview] "Le dialogue sur le travail n’est utile que si les managers peuvent ensuite transformer l’organisation"

[interview] "Le dialogue sur le travail n’est utile que si les managers peuvent ensuite transformer l’organisation"

11.06.2018

HSE

La semaine pour la qualité de vie au travail, organisée par l'Anact, débute aujourd'hui. L'occasion de revenir sur ce qu'est la QVT avec Mathieu Detchessahar. Un constat est clair, selon lui : les entreprises se préoccupent du bien-être de leurs salariés. Mais tables de ping-pong, baby-foot, journées de bénévolat – pour ajouter une composante RSE – ne font pas la QVT, "puisque l’entreprise ne s’intéresse alors qu’aux pourtours du travail".

Professeur au Lemna, le laboratoire d'économie et de management Nantes-Atlantique, à l'IAE (institut d'administration des entreprises) nantais, Mathieu Detchessahar travaille sur les liens entre management et santé au travail et sur les changements organisationnels. Il est aussi, notamment, membre du conseil scientifique de l'Anact.

Décrivant depuis plusieurs années des managers "empêchés", absorbés par des questions de gestion et de reporting, et qui, lorsqu'ils quittent enfin leur bureau sont happés des réunions (commission, groupes projets, comité de pilotage, réunions d’informations…), il préconise notamment de créer des espaces de discussion sur le travail.

 

Vous animez depuis sept ans le club QVT (qualité de vie au travail) de l’Anvie, association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises (1), qui permet aux entreprises participantes de confronter leurs pratiques et de s’enrichir de l’apport de la recherche sur ces sujets. Quels enseignements tirez-vous de l’appropriation du sujet de la QVT par les entreprises ?

Mathieu Detchessahar : Nous constatons qu’aujourd’hui, les questions de santé au sens large et les questions de vécu au travail des salariés font durablement partie des préoccupations des entreprises. Nous avons observé l’apparition de responsables QVT, puis de chief happiness officers, ce qui manifeste un intérêt particulier sur le sujet de la QVT et une volonté d’institutionnalisation des pratiques. En six ans, plus de la moitié de nos adhérents ont porté la mention de responsable de la QVT sur leur carte de visite.

Quels sont aujourd’hui les nouveaux leviers des organisations pour agir en matière de QVT ?

Mathieu Detchessahar : Un constat est clair : de nombreuses entreprises prêtent attention au bien-être de leurs salariés. Elles n’ambitionnent pas de transformer le travail en tant que tel, mais elles veulent permettre à leurs salariés de disposer d’espaces agréables de récupération, car elles ont conscience d’être plus exigeantes qu’avant. Ils accèdent à des salles de sieste, disposent de tables de ping-pong, jouent au baby foot, etc. Et on leur propose également des lieux où ils pourront mieux gérer leur stress ou méditer… Au croisement de la RSE et de la QVT, les entreprises organisent des journées de bénévolat ou des missions solidaires. Après ce "shoot" de sens, les salariés sont censés revenir "aérés" et disponibles pour leur travail. Cette tendance est très présente, avec toutes ses limites, puisque l’entreprise ne s’intéresse alors qu’aux pourtours du travail.

Après ce "shoot" de sens, les salariés sont censés revenir "aérés" et disponibles pour leur travail. Cette tendance est très présente, avec toutes ses limites, puisque l’entreprise ne s’intéresse alors qu’aux pourtours du travail. 
Certaines entreprises s’intéressent toutefois au contenu du travail…

Mathieu Detchessahar : En effet, une deuxième tendance observée dans nos travaux montre que certaines ont conscience que la QVT se construit chaque jour dans notre capacité à faire un travail de qualité. Elles tentent de soutenir le travail opérationnel, ce qui suppose de donner la parole aux collaborateurs sur le sujet. Mais le dialogue sur le travail n’est utile que si les managers peuvent ensuite transformer l’organisation. C’est difficile et les succès sont rares. On peut citer le dispositif "dialogue pour la qualité du travail" de l’équipe d’Yves Clot, mené dans les ateliers de l’usine de Renault à Flins. À Nantes, mes équipes accompagnent le Crédit agricole dans ce même esprit.

 

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Au-delà de ce chantier, de plus en plus d’entreprises reconsidèrent l’entretien annuel d’évaluation. Elles construisent des séances d’évaluation sur le travail au fil de l’eau, ce qui pousse les managers à discuter plus souvent de l’activité concrète avec les salariés. La question des compétences émerge également car pour bien faire son travail, il faut avoir les compétences nécessaires, et pouvoir les faire évoluer, d’autant que les transformations de multiples métiers s’accélèrent.

Vous soulignez le rôle primordial des managers dans ce dialogue sur le travail, mais en même temps vous pointez un paradoxe. Quel est-il ?

Mathieu Detchessahar : Il est surprenant d’avoir dans la pensée managériale contemporaine, deux mouvements qui s’opposent : d’un côté celui qui prône la libération de l’entreprise, et de l’autre, celui qui accorde au manager un rôle clé car il peut faire le lien entre le pouvoir d’organisation et les opérationnels. Or, même si l’entreprise libérée adresse une critique intéressante du management, du côté des solutions, elle oublie que les équipes attendent de leurs encadrants qu’ils se préoccupent de leur activité réelle, au quotidien.

Avec mon équipe, lorsque nous intervenons sur ce sujet, nous ouvrons ce que nous appelons des "conseils du travail", au niveau des comités de direction ou des comités exécutifs, pour leur permettre de construire leur stratégie sans ignorer le travail. Des problèmes opérationnels leur sont remontés, y compris avec des solutions imaginées par les opérateurs dans les espaces de dialogue inférieurs. Ils peuvent alors arbitrer. Une démarche inspirée de la co-détermination allemande.

 

(1) Environ 25 grands groupes adhèrent à l’Anvie, parmi lesquels Veolia, Renault, Orange, Michelin, Société Générale, EDF, etc.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Virginie Leblanc
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