"L’innovation naît de la mixité des compétences et des âges"

"L’innovation naît de la mixité des compétences et des âges"

29.10.2018

Gestion du personnel

Pour Anne-Marie Guillemard, professeure de sociologie à l’université Paris-Descartes-Sorbonne, l’allongement de la durée de la vie active doit être associé à des efforts publics en matière de formation professionnelle, de GPEC ou encore de prévention de la pénibilité et de qualité de vie au travail. L’objectif : maintenir en emploi les seniors, indispensables à notre économie.

Le rapport de France Stratégie "Les seniors, l'emploi et la retraite", publié le 1er octobre, répond-il à la problématique de la gestion des âges?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Ce rapport, très fouillé et précis, a une seule limite : ses préconisations à l’égard des politiques publiques actives d’emploi à mener pour favoriser le maintien dans l’emploi tout au long de la vie sont très faibles, voire inexistantes. Rappelons-le : la France est le pays qui affiche l’un des taux d’emploi des 60-64 ans le plus bas de l’UE : 29 % contre 45 % pour l’Europe des quinze. Du coup, il existe un gap important entre l’âge effectif de sortie du marché du travail (inférieur à 60 ans) et l’âge de liquidation de la retraite (autour de 62 ans). Or, si les seniors ne sont pas en emploi au moment de leur départ en retraite, les régimes de retraite seront toujours déficitaires. On ne gagne rien en termes de comptes sociaux. C’est pourtant le nerf de la guerre : dans une société vieillissante, nous avons besoin de repousser l’âge de sortie d’activité et que tous travaillent pour répondre aux besoins de financement des retraites.

Comment maintenir les seniors en emploi?

Les politiques publiques pourraient aider les PME à concevoir des politiques de mobilité rapide dans les emplois pénibles afin que les salariés ne soient pas usés à 40 ans 

L’allongement de la durée de contribution pourrait être associé à des efforts publics en matière de formation tout au long de la vie, de gestion de l’emploi et des compétences ou encore de politique de prévention de la pénibilité et de qualité de vie au travail. Il faut réfléchir à l’évolution des parcours professionnels que les salariés peuvent accomplir tout au long de leur carrière. A défaut, il ne sera pas envisageable de prolonger l’activité des seniors. Il faut aider les entreprises à se saisir de ces sujets. Les grands groupes le peuvent mais les PME n’en ont pas les moyens. Les politiques publiques pourraient, par exemple, aider les PME à concevoir des politiques de mobilité rapide dans les emplois pénibles afin que les salariés ne soient pas usés à 40 ans. On peut imaginer développer ce type de parcours sur les bassins d’emploi. Au début des années 2000, la Finlande a ainsi amélioré les conditions de travail des seniors, en développant le principe d’un bien-être au travail et a démontré aux entreprises qu’une gestion des âges qui dynamise les fins de carrière est possible et rentable car le retour sur investissement peut se monter à plus du double du montant investi.

Les entreprises n’ont pas pris la mesure de ces sujets, malgré les différents plans seniors mis en place par le gouvernement ?

Je ne jette pas la pierre aux DRH. Les différents gouvernements ont multiplié les réformes sur les retraites sans se préoccuper de l’allongement de la vie professionnelle des salariés. Pis : ils ont actionné une politique du bâton avec à la clef des pénalités financières en cas de manquement à leurs obligations légales. C’est le sens des mesures concernant l’obligation légale de négocier dans les entreprises sur l’emploi des seniors à partir de 2010. Mais je ne crois pas à la coercition. Car cette politique du bâton a été contre-productive. Pour les DRH, elle a eu pour conséquence d’ériger les seniors en problème. En conséquence, les entreprises n’ont pas anticipé le vieillissement inévitable de leur main-d’œuvre. Il faut, à l’inverse, montrer aux entreprises qu’introduire une meilleure synergie des âges dans les équipes de travail, cela peut rapporter gros.

Que préconisez-vous ?

Les jeunes ne font pas l’innovation, celle-ci naît de la synergie des âges dans  les équipes 

L’enjeu aujourd’hui est de passer d’une gestion par l’âge à une gestion de la diversité et de la synergie des âges. Jusqu’ici les politiques publiques ont plutôt privilégié une gestion qui segmente les âges à l’extrême. La politique de l’emploi a ainsi développé des dispositifs à l’intention des jeunes d’un côté, des seniors de l’autre (CDD seniors à 57 ans). Or, l’innovation naît de la mixité des compétences et des âges. Trois générations coexistent dans les entreprises ; il faut trouver les complémentarités, travailler plus efficacement, rompre avec cette vision de jeunisme. Qu’on se le dise : les jeunes ne font pas l’innovation, celle-ci naît de ces contacts, de ces cultures différentes, de la synergie des âges dans les équipes. En clair, il faut développer le management intergénérationnel aujourd’hui.

Le vieillissement ne doit pas être perçu comme un obstacle, mais comme une opportunité. Des seniors en bonne santé, dynamiques et compétents, grâce à la formation tout au long de la vie, sont une chance pour notre économie. On gagnera en productivité, en compétences. La Finlande estime ainsi pouvoir gagner 5 % de PIB à l’horizon de 2020.

C’était l’idée du contrat de génération ?

Le contrat de génération a tenté de réconcilier les générations. Mais on a truffé cette belle idée de bornes d’âge et on a exclu les âges intermédiaires. De plus, on a martelé aux seniors qu’ils devaient faire du mentoring pour les jeunes, mais cela ne se passe pas comme ça. La transmission des compétences est croisée, notamment pour le numérique. Le jeune transmet au senior, mais le senior maîtrise et transmet les process, la gestion des incidents. C’est dans le binôme que se crée le professionnalisme et l’innovation.

Les systèmes de retraite progressive doivent-ils être encouragés ?

Il faudrait assouplir ce critère et rendre accessible ce dispositif  en-deçà de cette borne d’âge sous certaines conditions. 

Bien évidemment. Il faut travailler sur ces transitions progressives. Les seniors ne veulent pas d’une retraite couperet et plébiscitent dans les sondages une retraite graduelle. Elle permet ainsi de travailler à temps partiel et de commencer à percevoir une partie de ses retraites. Or, ces retraites progressives sont, pour l’heure, confidentielles. D’où l’idée de les rendre plus attractives. Pour en bénéficier, il faut aujourd’hui avoir 60 ans, 65 ans il y a quelques années. Il faudrait assouplir ce critère et rendre accessible ce dispositif  en-deçà de cette borne d’âge sous certaines conditions. Il est aussi indispensable que le dispositif de retraite partielle permette de continuer à améliorer sa pension dans le cas des carrières incomplètes. Autre possibilité : les Pays-Bas ont augmenté le taux d’emploi des seniors via le temps partiel. Avec l’idée que la vie professionnelle ne s’arrête pas brutalement.

Êtes favorable à un système de retraite par points ?

 Ce système d’âge légal unique pour tous n’est plus adapté

Oui car cela permet de passer à une retraite plus choisie, qui ne repose plus sur un âge couperet et ouvre sur la possibilité de choisir le moment opportun pour prendre sa retraite selon sa situation individuelle et ses choix de vie. En France, le système est extrêmement contraint ; il comprend trois bornes d’âge : la durée de contribution requise (43 ans) ; l’âge légal de liquidation de la retraite (62 ans) et l’âge légal de liquidation sans décote (67 ans). Or, le départ à la retraite doit être plus choisi. Rappelons-le : le choix d’interrompre sa carrière professionnelle est "multidimensionnel"; il prend en compte, outre la durée d’affiliation au régime de retraite, la charge des proches, la situation du conjoint, la scolarité des enfants ou encore les biens patrimoniaux. Ce système d’âge légal unique pour tous n’est plus adapté. Dans les pays nordiques, en Suède, Finlande, une seule borne d’âge plancher existe : 60 ans en Suède, 61 ans en Finlande, à partir duquel vous pouvez liquider votre retraite. Mais des systèmes d’incitation existent pour prolonger l’activité. Plus le salarié part tard plus il bonifie sa retraite, plus il part tôt moins sa retraite sera élevée. Au moins ce système permet au salarié d’arbitrer entre son niveau de retraite et le prolongement de sa vie de travail. En effet, ce système, s’il est généralisé au delà des seules retraites complémentaires, permettra au senior d’évaluer le montant de la pension qu’il touchera selon le moment de son départ. Il pourra alors arbitrer selon ses choix de vie entre partir plus tôt à la retraite ou continuer à travailler.

 

Anne-Marie Guillemard est également auteure de "Allongements de la vie. Quels défis ? Quelles politiques ?" (La Découverte, 2017); "Les défis du vieillissement" (Armand Collin, 2010); "Où va la protection sociale?" (PUF, 2010).

Anne Bariet
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