Les affections psychiques liées au travail sont 20 fois plus reconnues en accident qu'en maladie

Les affections psychiques liées au travail sont 20 fois plus reconnues en accident qu'en maladie

14.02.2018

HSE

En 2016, la CnamTS a reconnu environ 10 000 troubles psychiques en accidents du travail. L'élément déclencheur peut tout autant être une réunion qui tourne mal qu'une agression. Les employés sont davantage touchés, surtout s'ils travaillent dans le médico-social, les transports ou le commerce. Au-delà de la réparation, la direction des risques professionnels voudrait mieux accompagner ces victimes pour éviter une désinsertion professionnelle.

Vingt fois plus d'affections psychiques dues au travail sont reconnues au titre des accidents du travail que des maladies professionnelles. En 2016, environ 10 000 cas ont ainsi été pris en charge par l'assurance maladie, ce qui représente 1,6 % des accidents du travail. "C'est un chiffre assez conséquent, qui n'avait jamais été établit de manière aussi formelle", commente Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la branche AT-MP, satisfaite de pouvoir "documenter la réalité de ces affections psychiques".

Agression ou réunion qui tourne mal

Comment ce que l'on a tendance à regrouper dans le mot-valise de burn-out peut-il être reconnu en accident du travail ? Les 10 000 cas de 2016 se répartissent de manière à peu près égale en deux catégories, en fonction de l'élément déclencheur. Première catégorie : les agressions, braquages ou attentats, des événements "exogènes au travail" qui surviennent dans le cadre du travail. "On a été surpris qu'ils soient aussi importants dans les causes d'accidents du travail. Cela touche beaucoup les secteurs du commerce, du médico-social et les transports", détaille Marine Jeantet.

Seconde catégorie : les événements révélateurs de conditions de travail difficile. Un entretien annuel tendu, une réunion qui tourne mal… Un problème latent se cristallise subitement lors d'un moment de la vie au travail. La limite avec la maladie professionnelle est ténue. "La description des troubles par les médecins sur le certificat médical – dépression, burn-out, grande anxiété – montrent que ce sont des symptômes chroniques. Reconnus dans le système comme accident du travail, ils sont révélateurs d'un problème de fond", souligne la directrice des risques professionnels.

 

3 500 accidents de trajet

3 500 accidents de trajets pris en charge, en 2016, sont aussi à ajouter à la catégorie des affections psychiques. Cela représente 4 % des accidents de trajet.

Il s'agit de cas particuliers, avec des victimes qui sont par exemple témoins d'un gros accident de la route.

 

Les accidents psychiques sont nettement moins reconnus

"Qui dit déclaration ne dit pas forcément reconnaissance. En cas de doute, nous faisons des investigations contradictoires", rappelle Philippe Petit, médecin-conseil à la direction des risques professionnels de la CnamTS. Lorsque l'employeur – qui en a l'obligation légale – déclare une accident du travail, la caisse d'assurance maladie établit que le travail est bien la cause déterminante, ce qui active la prise en charge à ce titre. Toutes causes d'AT confondues, la reconnaissance à partir du certificat médical initial est de l'ordre de 93 %.

Pour les affections psychiques, on est sur un taux de reconnaissance nettement plus faible, autour de 70 %. La matérialité d'un sinistre ayant une composante psychologique est plus difficile à établir. "En cas de chute sur le lieu de travail, il n'y a pas débat, commente Marine Jeantet. Quand quelqu'un arrive avec une crise de larmes – car c'est bien de cela qu'il s'agit dans les déclarations que nous recevons – c'est plus compliqué."

Les employés et le médico-social sont les plus touchés

"On entend beaucoup parler du stress des cadres. Pourtant, en terme de fréquence d'accidents, les employés représentent la catégorie la plus concernée", fait-elle remarquer. Si l'on regarde secteur par secteur – sur l'ensemble de ceux couverts par la CnamTS, qui n'assure par exemple pas la fonction publique hospitalière – le médico-social concentre 18 % de ces accidents, alors qu'il n'emploie que 11 % des salariés. Le transport de voyageurs, puis le commerce de détail suivent, avec respectivement 15 % et 13 %.

Hervé Laubertie, en charge de la mission prévention à la direction des risques professionnels, n'est pas surpris : les chiffres correspondent à ce qu'observent les agents des Carsat dans les entreprises. Concentrant près de la moitié des accidents, ces trois secteurs ont un dénominateur commun : le lien avec le public. "On sait que cela peut être un facteur protecteur par rapport aux risques psychosociaux… sauf quand ce lien génère de la tension", interprète-il. D'autant que dans le médico-social, "l'autonomie et les marges de manœuvre se réduisent, la charge de travail est de plus en plus importante, avec parfois des conflits de valeur de plus en plus forts".

 

12 secteurs, 40 % des salariés, 70 % des affections psychiques reconnues en accident du travail
Secteur économique Nombre d'affections psychiques reconnues en AT Poids du secteur dans les affections psychiques reconnues en AT Poids du secteur en nombre de salariés Indice de fréquence (pour 1 000 salariés)
Transports terrestres et transport par conduites 1 439 15 % 3 % 2,67
Commerce de détail, à l'exception des automobiles et motocycles 1 127 13 % 9 % 0,77
Hébergement médico-social et social 900 9 % 3 % 1,72
Administration publique et défense ; organismes de sécurité sociale 533 6 % 7 % 0,42
Action sociale sans hébergement 517 5 % 3 % 0,82
Activité de poste et de courrier 434 5 % 1 % 3,44
Restauration 421 4 % 4 % 0,58
Activités pour la santé humaine 413 4 % 5 % 0,46
Activités immobilières 378 4 % 1 % 1,51
Activités des services financiers, hors assurance et caisses de retraite 252 3 % 2 % 0,56
Enquêtes et sécurité 214 2 % 1 % 1,18
Services relatifs aux bâtiments et aménagements paysagers 206 2 % 2 % 0,53
TOTAL 6 934 72 % 41 % 0,91

Remarques :

- Tous secteurs économiques confondus, au-delà des 12 listés ici, l'indice de fréquence des affections psychiques reconnues en accident du travail est de 0,52 pour 1 000 salariés. Les lignes rouges mettent en évidence les secteurs dans lesquels la fréquence particulièrement élevée.

- L'hébergement médico-social et social, l'action sociale sans hébergement et les activités pour la santé humaine forment dans ces chiffres le secteur médico-social.

 

Les femmes représentent près de 60 % des cas de reconnaissance d'affections psychiques en accidents du travail. Il est cependant important de ne pas se précipiter vers une lecture genrée de ces chiffres, qui nécessiteraient d'être superposés aux métiers exercés et aux parcours professionnels. "Quand les métiers les plus exposés sont majoritairement exercés par des femmes, il est logique que les femmes soient majoritairement victimes", insiste Marine Jeantet.

230 millions d'euros

175 millions d'euros pour les accidents du travail, 17 millions d'euros pour les accidents de trajet et 40 millions d'euros pour les maladies professionnelles : en tout, la prise en charge des affections psychiques liées au travail a coûté 230 millions d'euros à la branche AT-MP en 2016. Soit moins de 3 % des 8 à 9 milliards annuels de prestations de la branche. En comparaison, les lombalgies coûtent plus d'un milliard d'euros et les troubles musculo-squelettiques, 800 millions.

"Pour nous, en tant qu'assureur et gestionnaire du risque, c'est un vrai sujet, mais nous ne sommes pas sur un coût qui va gréver le budget de l'assurance maladie", déclare Marine Jeantet. Elle s'inquiète surtout du risque de désinsertion professionnelle, proportionnel à la durée de l'arrêt de travail. Un accident du travail – quelle qu'en soit sa cause – entraîne en moyenne un arrêt de travail de 65 jours ; lorsqu'il s'agit d'une affection psychique, l'arrêt dure 112 jours. Et alors que 5 % des AT donnent lieu à une incapacité permanente ; 7,5 % des affections psychiques reconnues en AT ont la même issue.

Rente ou coaching

"Leur verser une rente à vie, selon le système de réparation qui a historiquement construit la branche – pour que ceux qui ne pouvaient plus travailler parce qu'ils avaient perdu un bras puissent subvenir à leur vie familiale –, n'est pas un projet social très motivant, expose la directrice des risques professionnels. On n'est pas dans la même situation : ce sont des gens jeunes, à qui il reste beaucoup à faire. Comment les accompagne-t-on ?"

Ce jeudi 15 février 2018, la ministre de la santé Agnès Buzyn devrait signer la COG (convention d'objectifs et de gestion) 2018-2022 de la CnamTS. Le volet du maintien en emploi a déjà été validé comme un des axes importants du programme de travail des 5 ans à venir. Reste à savoir quels seront les moyens mis en face, et la négociation semblait âpre. Pour les victimes d'affections psychiques, Marine Jeantet, défend l'expérimentation du "coaching, avec un projet de réinsertion".

Philippe Petit se réjouit d'une nouveauté à partir du 1er janvier prochain : 500 heures de formation seront créditées sur le CPF (compte personnel de formation) de chaque victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle avec une incapacité permanente d'au moins 10 %. "La réparation apporte certes une reconnaissance essentielle, mais elle n'est que subsidiaire. La démarche vraiment utile est d'accompagner ces victimes précocement, pour les aider à rebondir et retrouver une situation socio-professionnelle satisfaisante."

 

596 reconnaissances en maladie professionnelles

En 2016, le nombre cas de pathologies psychiques prises en charge comme maladies professionnelles a encore augmenté : 596 avis favorables ont été prononcés par les CRRMP (comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles).

C'est 7 fois plus qu'en 2011 ou 2012. Cette année-là, une lettre ministérielle donne pour instruction d'apprécier plus souplement le taux d'incapacité permanente de 25% requis pour la saisine des CRRMP. En 2013, ces comités examinent ainsi près de 500 dossiers, contre à peine 200 les années précédentes.

La part d'avis favorables est toujours restée stable : environ la moitié des dossiers débouchent sur une reconnaissance.

Depuis l'instruction de 2012, il s'agit de juger, lors de la déclaration, quelle est l'incapacité prévisible, "peu importe le niveau de gravité final et l'indemnisation des séquelles à la fin", précise Philippe Petit.

"Au moment où l'on juge, on est dans la phase évolutive et dans la phase d'expression de la pathologie, qui souvent est responsable d'un arrêt de travail. Ce retentissement sur la vie sociale de la personne fait que l'on est au-delà de 25%. Un arrêt de travail, c'est au minimum 66%", assure-t-il.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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