Octroi de l'AEEH et autisme : le juge fait fi des recommandations de la HAS

23.11.2018

Droit public

La non-recommandation, par la Haute Autorité de santé, de la méthode de prise en charge d’un enfant autiste – en l’espèce, la méthode "3i" – ne peut être utilement invoquée pour refuser l’attribution d’un complément d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH).

Le choix de la méthode d’intervention auprès d’un enfant autiste appartient aux parents et ne peut, dès lors qu’elle répond aux besoins et difficultés spécifiques de l’intéressé et que les critères légaux d'octroi sont remplis, fonder le refus d’attribution d’un complément d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH). Tel est, en substance, l’apport de la décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 8 novembre. Un "arrêt extrêmement important" pour Frédéric Tiberghien, membre du conseil d'administration de l'association Autisme espoir vers l'école (AEVE), et qui remet les pendules à l'heure : pour l'octroi d'une prestation sociale, seules doivent être regardées les conditions légales d'attribution.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Décisions successives fondées sur la recommandation de la HAS

En l’espèce, une commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a rejeté la demande de complément d’AEEH de 5e catégorie présentée par une mère pour son fils présentant un syndrome autistique. La raison invoquée : "la méthode d’éveil par le jeu intensif, individuel et intéractif (méthode 3i) [dont il bénéficiait] n’était pas officiellement reconnue par la Haute Autorité de santé (HAS)". Cette décision de la CDAPH est contestée par la mère de l’enfant. En première instance, le tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI) de Rennes a fait droit à sa demande et attribué le complément d'AEEH de 5e catégorie demandé, sous réserve des conditions administratives d'attribution (TCI, 12 sept. 2014, n° 532013001022HM). Le TCI précisait notamment que "si les recommandations de la HAS sont restrictives, lorsqu'on les reprend point par point, en revanche, il faut souligner que la Haute Autorité préconise de privilégier toujours la finalité singulière de chaque enfant. C'est ce qui est fait ici, et c'est la raison pour laquelle le complément 5 sera reconnu et préconisé pour une prise en charge globale, harmonieuse et non limitée".

Ce jugement est contesté en appel devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (CNITAAT), qui l'annule, refusant ainsi l’attribution du complément d’AEEH de 5e catégorie mais accordant celui de 4e catégorie. La Cour fonde sa décision sur les conclusions du consultant qu’elle avait commis, qui reprenait la recommandation de bonnes pratiques (RBP) conjointe de la HAS et de l’ANESM de mars 2012 intitulée "Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent". Dans ce document, les deux institutions classaient la méthode des 3i dans la catégorie des "interventions globales non recommandées".

Et pour la CNITAAT, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) – et donc les CDAPH – "sont tenues de respecter ces recommandations s’agissant de l’intervention de fonds publics".

Recentrage de la Cour de cassation sur les critères légaux

Ces arguments sont balayés par la Cour de cassation, qui se place sur un tout autre terrain pour casser l’arrêt : celui du respect des critères légaux d'attribution des compléments d'AEEH (CSS, art. L. 541-1, al. 2 et R. 541-2), et la prise en compte des besoins et difficultés spécifiques de l’enfant autiste pour la détermination de la prise en charge pluridisciplinaire (CASF, art. L. 246-1).

En ne tenant pas compte, pour statuer, de ces besoins et difficultés spécifiques, la CNITAAT a violé les dispositions légales susvisées. Son arrêt est annulé, et l'affaire renvoyée devant cette même cour, autrement composée.

Des apports non négligents

Trois enseignements peuvent être tirés de l'arrêt de la Cour de cassation :

  • le juge remet au centre de la décision d’attribution du complément d'AEEH les besoins et les difficultés spécifiques de l’enfant - un critère légal déterminant pour la prise en charge de l'intéressé ;
  • la CDAPH (et le juge) n’ont pas de droit de regard sur la méthode de prise en charge de l’enfant ;
  • les recommandations de bonnes pratiques de la HAS n’ont pas de valeur juridique contraignante et ne peuvent pas être opposées aux personnes handicapées.
Pas de valeur juridique pour les recommandations de la HAS

Tout d'abord, en cassant l'arrêt de la CNITAAT aux visas des articles L. 246-1 du CASF, ainsi que des articles L. 541-1, alinéa 2, et R. 541-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation pose très clairement que seul le respect des critères légaux et réglementaires doit guider la décision d'octroi - ou non - du complément d'AEEH. Ainsi, s'appuyer sur une recommandation de la HAS - motif étranger non prévu par les textes - pour refuser l'attribution du complément 5 de l'AEEH viole les règles légales. Pour Frédéric Tiberghien, la Haute juridiction "censure ici l'erreur de droit commise par la CNITAAT, mais la portée de l'arrêt est plus large : c'est le raisonnement du juge d'appel - et de la CDAPH - qui est également censuré". La Cour "condamne très clairement l'interprétation abusive de la portée de la recommandation faite par la CNITAAT et la CDAPH". En clair, une recommandation de la HAS ne peut pas être invoquée dans le cadre de l'octroi d'une prestation.

Ainsi, même si ce n'est pas dit clairement, par cette décision le juge de cassation prive de toute portée impérative les recommandations de la HAS.

Remarque : comme le soulevait le conseiller rapporteur, "ces recommandations sont évidemment dépourvues de valeur normative, même si [...] elles sont considérées, par le Conseil d'État, comme des décisions pouvant faire grief et comme telles susceptibles de recours pour excès de pouvoir" (CE, 27 avr. 2011, n° 334396).

On ne peut toutefois que déplorer le fait que la Haute juridiction botte en touche sur cette question (alors que l'un des moyens portait spécifiquement dessus) et ne se positionne pas plus clairement. Surtout que ce sujet risque - selon toute vraisemblance - d'être remis sur le tapis. En effet, dans la stratégie nationale pour l'autisme au sein des troubles du neuro-développement 2018-2022, le gouvernement distille de nombreuses allusions aux recommandations de la HAS, leur conférant - semble-t-il - une plus ample importance. Par exemple, il est indiqué que la mise en œuvre de cette stratégie "contribuera à la déclinaison stricte des recommandations de bonnes pratiques professionnelles relatives à l'autisme", certaines mesures étant même "directement inspirées" de certaines RBPP. Il est également prévu de rénover les référentiels de formation initiale de l'ensemble des professionnels intervenant auprès des personnes autistes, conformément aux recommandations de la HAS.

Libre choix des parents de la méthode utilisée

Autre apport intéressant de l'arrêt : en ne se positionnant pas sur le terrain de la méthode à laquelle il est recouru pour la prise en charge de l'enfant autiste, mais sur celui de la prise en compte de ses besoins et difficultés spécifiques, la Cour de cassation consacre implicitement le principe de libre choix des parents en cette matière. Lesquels sont les mieux à même de sélectionner la méthode la plus adaptée aux caractéristiques de leur enfant.

Cette liberté découle, de toute façon, de l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles selon lequel la CDAPH doit notamment tenir compte, dans ses décisions, "des souhaits exprimés par la personne handicapée ou son représentant légal dans son projet de vie et du plan personnalisé de compensation".

Ainsi, pour la Cour de cassation, la seule ligne directrice devant guider l'octroi d'une prestation à un enfant handicapé est le fait de savoir si la méthode de prise en charge à laquelle il est recouru répond bien à ses besoins et difficultés spécifiques, et si les critères légaux d'attribution sont bien remplis. Point.

L'association AEVE se félicite de cette décision, et en relève l'importance "pour tous les parents qui appliquent la méthode des 3i car elle censure une interprétation erronée mais trop fréquente de la portée des recommandations de la HAS".

Des conséquences à tirer par les CDAPH

Cet arrêt clarifiant les conditions d'attribution du complément d'AEEH pour les enfants autistes, espérons que les MDPH, les CDAPH et les juges en tireront les conséquences et que chacun s'alignera dessus. En clair : les parents sont libres de choisir la méthode qui convient selon eux à leur enfant, sélectionnée au regard de ses caractéristiques propres. Du moment que les critères d'attribution légaux du complément demandé sont remplis, les CDAPH ne peuvent pas s'opposer à son octroi.

Virginie Fleury, Dictionnaire Permanent Action sociale
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