Risque chimique : pas de juste réparation possible sans traçabilité fiable

Risque chimique : pas de juste réparation possible sans traçabilité fiable

25.09.2018

HSE

Dans son rapport sur l'exposition aux agents chimiques dangereux, Paul Frimat formule plusieurs propositions pour en améliorer la réparation. Il insiste sur le rôle de la traçabilité, qui pourrait être confiée aux services de santé au travail et va permettre, selon les cas, au salarié de prouver son exposition, ou à l'employeur de se dédouaner. Constatant que le système actuel de tableaux de maladies professionnelles ne fonctionne pas bien pour les pathologies dues aux ACD, il voudrait aussi y introduire les diagnostics différentiels.

Pour compenser le fait de sortir 4 facteurs de pénibilité (port de charges, les postures pénibles, vibrations et agents chimiques dangereux) du système permettant de cumuler des points sur l'ex-compte pénibilité, le gouvernement a un temps envisagé de faire reposer l'octroi d'une réparation (retraite anticipée) sur une visite médicale en fin de carrière qui constaterait exposition et maladie. Finalement, le dispositif s'est organisé différemment, abandonnant la visite médicale pour se concentrer sur la reconnaissance de la maladie professionnelle.

Paul Frimat – qui a été missionné justement pour palier les défauts de ce nouveau système, peu adapté aux ACD (agents chimiques dangereux) – reprend dans ses propositions l'idée de confier aux services de santé au travail "la validation du suivi d'exposition", sur la base du DMST (dossier médical en santé au travail).  Les salariés qui auraient été exposés "à certains agents chimiques dangereux au-delà d'une certaine période (5 ans)" verraient ainsi leurs droits à la formation acquis être multipliés.

Égalité et traçabilité

Le professeur de médecine du travail pose cependant plusieurs précautions. À commencer par l'organisation de la traçabilité sur laquelle s'appuieraient les services de santé au travail, sans quoi ils s'exposeraient à un risque de contentieux important.

"L’égalité de traitement entre les salariés doit être assurée", écrit Paul Frimat. Il faudrait ainsi être certain "que la reconstitution de l’exposition individuelle sur une durée potentiellement supérieure au contrat de travail soit possible, que l’intégralité des travailleurs puissent faire l’objet d’un suivi (y compris en cas de contrat court) et que l’appréciation de l’exposition aux CMR soit homogène selon les services de santé au travail".

 

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Face à l'absence de preuves

Lorsque la maladie se déclare – un cancer par exemple, plusieurs années après l'exposition –, la qualité de la traçabilité va encore une fois être déterminante. C'est elle qui va permettre au salarié de prouver son exposition. C'est aussi elle qui va permettre à l'entreprise de se dédouaner. Mais aujourd'hui, cette traçabilité, lorsqu'elle existe, n'est que peu fiable.

"Dans tous les cas de maladie professionnelle différée, l’absence de fiches d’exposition, de fiches de pénibilité pour les ACD, le non-accès au document unique, entraînent une réelle difficulté d’apport de preuve de l’exposition par le salarié en dehors de la présentation d’éléments objectifs émanant de témoignages et du médecin du travail", constate Paul Frimat.

Et s'il n'a pas d'éléments objectifs prouvant son exposition, le salarié malade verra son dossier rejeté par la CPAM, ne pouvant même pas le porter devant le CRRMP (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles). Devant les tribunaux, il connaîtra probablement le même sort. "L'absence de preuve 'factuelle' […] entraîne souvent le rejet par les tribunaux compétents […] alors même que l'employeur n'a pas rempli sa propre obligation factuelle d'évaluation des risques professionnels."

 

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Paul Frimat soumet un cas d'école, "caricatural pour bien comprendre", mais non moins probable pour autant. "Imaginez un ouvrier du BTP qui développe une maladie de l'amiante. Il a travaillé dans de nombreuses entreprises, dont beaucoup n'existent plus. Les deux seules qui restent disent (et prouvent) qu'elles n'ont jamais travaillé avec de l'amiante. Que dit-on à ce salarié ? Qu'il n'a pas une maladie professionnelle ?"

Pour éviter ces situations, il faudra avoir aidé le salarié à constituer son dossier, lors d'une "visite de cessation d'activité" avec le service de santé au travail visant à finaliser le "cursus laboris".

Dans les cas où la preuve de l'exposition est "difficile voire impossible à établir", Paul Frimat propose de soumettre le dossier du travailleur malade à une "analyse préalable" menée par "un groupe d’experts" au sein des CPAM, en lien avec les Carsat. Ces experts émettront "un avis permettant à la caisse primaire de prendre sa décision".

Et si l'incertitude demeure, le médecin plaide "pour que l'on donne la possibilité au CRRMP de se positionner en l'absence d'une connaissance réelle de l'exposition". Il espère qu'une réflexion va s'engager sur ce point.

Diagnostic différentiel : le "pavé dans la mare"

Pour finir, Paul Frimat jette ce qu'il appelle son "pavé dans la mare" : "je propose de modifier la présomption d'imputabilité". Aujourd'hui, les tableaux de maladies professionnelles permettent de présumer qu'est imputable au travail une pathologie qui se développe dans les conditions décrites par le tableau – délai de prise en charge, durée d'exposition, liste limitative des travaux. La reconnaissance en maladie professionnelle est alors quasi automatique.

Un système "relativement simple", "bien adapté pour les pathologies dont le lien avec le travail est évident". Mais qui ne fonctionne pas aussi bien lorsqu'on essaie de faire rentrer dans les colonnes des pathologies plurifactorielles, telles que les cancers dus à une exposition à des produits chimiques.

 

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Le professeur de médecine du travail, responsable du service de pathologies professionnelles du CHRU de Lille, défend donc l'idée que soient introduits dans les tableaux une liste de "diagnostics différentiels". Il s'agit d'examens complémentaires permettant de caractériser la pathologie et d'éliminer les causes extra-professionnelles. Les tableaux listeraient ainsi, "pour certaines pathologies plurifactorielles, de façon explicite et limitative, la ou les pathologies à éliminer".

Concrètement, le diagnostic différentiel pourra permettre de prouver que tel cancer du foie chez un travailleur n'est pas dû à une consommation excessive d'alcool, ou que ce cancer des poumons n'est pas uniquement dû au tabac. "Il y a une réflexion à mener sur les tableaux de maladies professionnelles" : Paul Frimat entend essayer de mobiliser les partenaires sociaux sur la question. Il doit présenter son rapport au Coct (conseil d'orientation des conditions de travail) mi-octobre.

 

Le cas particulier des produits sensibilisants

Le maintien en emploi – et son pendant, la prévention de la désinsertion professionnelle – est un sujet sur lequel Paul Frimat alerte depuis plusieurs années. Dans la troisième série de recommandations de son rapport, qui concernent la compensation de l'exposition à des ACD, il souligne le cas particulier des travailleurs qui ont été exposés à des produits sensibilisants.

"Que fait-on, interroge-t-il, pour le coiffeur qui a développé un eczéma, et ne peut plus travailler car il ne peut plus être en contact avec les produits ?" Ce coiffeur aura peut-être une reconnaissance en maladie professionnelle (au titre du tableau 65 du régime général, notamment). Ses séquelles étant légères, le taux d'IPP (incapacité permanente partielle) sera sans doute très bas, lui ouvrant peu de droits, alors qu'il ne peut plus exercer son métier.

Paul Frimat propose "d'envisager un abondement du compte personnel de formation en cas de maladie professionnelle liée au risque chimique ou à un mécanisme allergique, même si le taux d’IPP est inférieur à 10 %", et de coupler l'ouverture de ces droits à la formation à "un accompagnement renforcé au retour à l'emploi".

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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