Valorisation des parcours d'élus et de délégués : les entreprises priées d'anticiper l'effet du CSE

Valorisation des parcours d'élus et de délégués : les entreprises priées d'anticiper l'effet du CSE

19.02.2018

Représentants du personnel

Un rapport remis vendredi à la ministre du Travail aborde la question, très peu traitée dans les ordonnances, de la valorisation des parcours des représentants du personnel. Guide à l'appui, Jean-Dominique Simonpoli et Gilles Gateau proposent surtout de diffuser les bonnes pratiques en incitant les entreprises à se soucier des salariés qui perdront leur mandat à l'occasion du passage en CSE.

La fusion des instances représentatives du personnel (DP, CHSCT et CE) au sein du comité social et économique (CSE) entraînera une baisse du nombre d'élus. Il est d'autant plus difficile de l'estimer au niveau national que le nombre de représentants du personnel actuellement connu ne résulte lui-même que d'une estimation (autour de 600 000 personnes pour les seuls élus du personnel), et que tout dépendra dans les faits des protocoles préélectoraux établis entreprise par entreprise. Mais ce changement pose la question de la valorisation des parcours de ceux qui ne retrouveront pas un mandat, et de leur réinscription dans une carrière professionnelle. C'est un enjeu personnel pour ces salariés, un enjeu syndical mais aussi un enjeu pour la gestion du personnel dans les entreprises. En outre, en élargissant considérablement le champ des sujets négociés au niveau de l'entreprise, les ordonnances posent un défi aux organisations syndicales : comment attirer les salariés vers des mandats de plus en plus prenants et de plus en plus techniques ? Comment leur assurer que leur engagement ne nuira pas ensuite à leur parcours professionnel, d'autant que les élus ne pourront accomplir que trois mandats successifs ? 

Très peu de choses dans les ordonnances

En dépit de tous ces enjeux et de son titre ("la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales"), l'ordonnance Macron a finalement très peu traité de ce sujet. Le texte n'a guère tenu compte des propositions émises en juillet 2017 par le conseil économique, social et environnemental (CSES) concernant la prévention des discriminations salariales, ni d'ailleurs d'un premier rapport déjà rédigé par Jean-Dominique Simonpoli en août (*) Si l'on excepte la possibilité donnée aux branches de faire prévaloir des dispositions sur la valorisation des parcours syndicaux, le texte de l'ordonnance ne comprend que de rares dispositions sur ce sujet comme : 

Est-ce pour pallier cette absence ou pour tenter d'anticiper les effets d'une chute du nombre de salariés élus et mandatés qui pourrait s'avérer problématique du point de vue de leur reclassement ? Un rapport a été remis sur le sujet à la ministre du Travail, vendredi 16 février, par Jean-Dominique Simonpoli, directeur de l'association Dialogues (dont l'objet est de favoriser un dialogue entre DRH et monde syndical), et Gilles Gateau, directeur général des ressources humaines d'Air France (ex-directeur de cabinet adjoint de Manuel Valls à Matignon).

Une modification législative...tout de suite écartée par la ministre

Au motif que les ordonnances sont récentes et "non pleinement appliquées", les deux hommes ne suggèrent qu'une modification législative et qu'une modification réglementaire. La première consiste à obliger les entreprises de plus de 5 000 salariés à négocier un accord, ou à défaut à établir un plan d'action, portant "sur les mesures d'accompagnement spécifiques des salariés actuellement titulaires "de mandats lourds" (les occupant plus de 50% de leur temps de travail) qui ne seraient pas candidats ou ne seraient pas réélus à l'issue du prochain renouvellement électoral". L'employeur qui n'aurait pas conclu d'accord ou de plan d'action devrait abonder le compte personnel de formation de chaque salarié concerné.

 Nous n'allons pas à nouveau réformer le code du travail

 

 

Cette suggestion législative a été immédiatement écartée par Muriel Pénicaud : "Nous n'allons pas à nouveau réformer le code du travail par petites touches. D'autant qu'une loi ne pourrait pas être adoptée avant l'automne. Je vais donc écrire aux 230 entreprises concernées" (Nldr : de plus de 5 000 salariés) pour les sensibiliser à la question du "repositionnement" professionnel des salariés perdant leur mandat du fait du CSE.

La deuxième suggestion consiste à modifier le décret fixant les modalités de prise en charge par le fonds paritaire national des délégués participant aux négociations de branche, afin d'avoir une meilleure mutualisation et un caractère incitatif pour les délégués de PME et TPE.

Des recommandations de bonnes pratiques

Les autres propositions du rapport, très bien accueillies par la ministre du Travail, apparaissent comme des opérations de sensibilisation et, selon les termes de Dominique Simonpoli, "comme une boite à outils opérationnelle" à destination des entreprises et des représentants du personnel : un guide élaboré par les deux auteurs est d'ailleurs publié par le ministère et promis à une large diffusion.

"Les ordonnances donnent un cadre légal pour transformer le dialogue social en ouvrant des espaces de liberté dans la négociation d'entreprise et en renforçant l'efficacité des instances représentatives du personnel, soutient Gilles Gateau. Nous nous sommes placés dans l'étape décisive qui suit. Pour que ces espaces de liberté soient mis en oeuvre dans les entreprises, il faut que des femmes et des hommes se saisissent de ces outils, qu'ils soient formés à cela. Et ce n'est pas évident dans un pays qui n'a pas de culture du dialogue social".

N'attendez pas l'après élection du CSE pour vous préoccuper des salariés qui n'auront plus de mandat

 

 

Les deux auteurs du rapport délivrent donc un message simple aux entreprises pour la phase transitoire de 2018 et 2019 à propos des élections professionnelles : "N'attendez pas l'après élection du CSE pour vous préoccuper de la situation professionnelle des personnes qui ont été parfois longtemps occupées par leurs mandats", dit Gilles Gateau. Ce dernier recommande aux entreprises de conduire les entretiens de fin de mandat des élus "six mois à un an avant la fin du mandat afin d'aider au repositionnement professionnel du salarié" et suggère aussi "d'organiser un entretien de mi-mandat chaque fois que possible". Le rapport invite à préparer très en amont le passage au CSE "avec la mise en place d'une organisation appropriée en mode projet" et en prévoyant déjà les mesures pour les salariés qui perdront leurs mandats, comme "une cellule d'orientation et d'accompagnement", "la réalisation d'un bilan de situation individuelle pour chaque salarié concerné", etc.

Des idées pour diffuser une culture du dialogue social

Pour tenter de créer cette culture et favoriser la reconnaissance des compétences des élus du personnel , le rapport avance plusieurs idées :

  • encourager les organisations syndicale à former leurs représentants;
  • inciter l'enseignement supérieur à développer leur offre de formation destinée aux représentants du personnel;
  • inciter les formations au management à comprendre une partie sur le dialogue social;
  • permettre que les formations communes (représentants du personnel-DRH) au dialogue social prévues par la loi Travail de 2016 "soient opérationnelles dès 2018;
  • prévoir que les salariés mis à disposition ou détachés "conservent un lien régulier avec leur entreprise et leur emploi d'origine";
  • faire aboutir au premier trimestre les travaux de la direction générale de l'emploi et da formation professionnelle en vue d'une certification des compétences acquises par les représentants du personnel durant leur mandat afin que cet outil soit diffusé via les branches au premier semestre 2018;
  • encourager les branches à mettre en place des "référents en évolution professionnelle" chargés de conseiller les représentants du personnel exerçant des mandats leur prenant au moins la moitié de leur temps de travail;
  • élargir les possibilités d'accès des élus du personnel au troisième concours d'inspecteur du travail. Muriel Pénicaud a envisagé vendredi de porter cette ouverture à 20%-30% dès l'année prochaine, en souhaitant aussi que les DRH en bénéficient;
  • étudier de possibles débouchés pour les anciens élus du personnel dans la fonction publique;
  • expérimenter des binômes employeur-salariés (la fédération des travaux publics s'y est engagée) qui aient un rôle d'appui au dialogue social dans les TPE
  • produire chaque année un bilan qualitatif de la négociation collective, qui émanerait d'un réseau d'observation du dialogue social qui ne soit pas un nouvel organisme mais un groupe associant chercheurs, administrations et organismes;
  • réunir chaque année une commission nationale de la négociation collective (CNNC) qui regrouperait les numéros un des organisations patronales et syndicales afin de provoquer un échange sur l'état du dialogue social sur la base du rapport évoqué au-dessus.

Enfin, l'idée d'organiser au ministère du Travail "des journées du dialogue social" réunissant, un jour ou deux, des acteurs de terrain témoignant d'expériences innovantes de dialogue social a séduit Muriel Pénicaud. La ministre veut les lancer dès 2018. Clin d'oeil de l'histoire : on peut y voir l'exacte inversion des conférences sociales du quinquennat Hollande réunissant les sommets des organisations patronales et syndicales en vue de bâtir un agenda social. Il s'agit ici, au contraire, de valoriser les initiatives des "acteurs de terrain" lors des négociations décentralisées...

 

(*) Le rapport ne reprend pas davantage ces idées. Gilles Gateau l'a justifié en disant d'une part que les ordonnances étaient encore récentes et, d'autre part, qu'il ne fallait pas envisager le sujet du développement professionnel des salariés élus ou mandatés sous le seul angle de la discrimination". Soulignons que le premier rapport de Jean-Dominique Simonpoli allait plus loin que ce nouveau rapport : il suggérait par exemple une rubrique spécifique dans la base de données économique et sociale (BDES) afin de pouvoir mesurer d'éventuelles discriminations syndicales ainsi que la généralisation des entretiens de début de mandat à tous les élus.

 

Une PME pourrait inaugurer
dès fin 2018 le premier conseil d'entreprise

La SNIE, une PME de 440 salariés de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne) sp��cialisée dans les installations électriques, pourrait être la première entreprise à installer...le conseil d'entreprise, l'instance créée par accord qui, outre la fusion CE-CHSCT-DP, comprend aussi la compétence de négociation. Tous les élus de cette PME ont d'ailleurs démissionné en janvier dernier afin d'accélérer la mise en place de cette instance, que le PDG espère voir sur pied pour la fin 2018. "Nous passerons alors de 32 élus, en sachant que ces mandats concernent 22 personnes et que 12 sont véritablement actifs, à environ 24 mandats dont 12 titulaires", précise Laurent Creif, le PDG qui a néanmoins exprimé une sorte de regret de ne plus avoir de CHSCT autonome. Devant une Muriel Pénicaud aux anges, le PDG a ajouté que le conseil correspondait bien aux besoins de son entreprise qui peine à trouver des candidats aux élections. Pascal Nicot, le délégué syndical CFTC, seul syndicat de l'entreprise, a abondé dans son sens en soulignant qu'il se sentirait moins seul au sein d'un conseil d'entreprise "pour négocier et assumer".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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