[A voix haute] Demander l'asile, un parcours du combattant

[A voix haute] Demander l'asile, un parcours du combattant

09.11.2018

Action sociale

Notre série "A voix haute" donne la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : "usagers", ou "personnes accompagnées''. Mougnal, 27 ans, a fui la Guinée pour la France. Sa demande d'asile rejetée par l'Ofpra, il a formé un recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il attend la date de son audience et l'obtention, ou non, du statut de réfugié.

Comme de nombreux demandeurs d'asile, Mougnal (1) a d'abord connu, à son arrivée en août 2017, les trottoirs de Paris. Puis, pendant de longs mois, un campement en région parisienne. Aujourd'hui hébergé en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada), le jeune Guinéen revient sur le chemin parcouru depuis son arrivée en France et son rapport avec les nombreux travailleurs sociaux et agents administratifs croisés au long de cet interminable parcours.

Lorsqu'il arrive à Paris, Mougnal s'attend à ne pas être accueilli à bras ouverts : « On est des aventuriers (2), on sait que ce n'est pas facile. Quand j'étais encore en Espagne, j'avais contacté des amis qui m'avaient expliqué comment ça se passait ici. Mais je n'avais pas le choix... » Mougnal ne reste pas longtemps dans le cœur de la capitale : « J'avais du mal à dormir dans les rues ou à la gare, je préférais être à l'abri des regards. » On lui parle d'une forêt, en région parisienne, où des personnes exilées survivent dans un campement. Mougnal s'y rend. Il y logera une dizaine de mois.

« Je savais que c'était mon droit »

Pendant ce temps, il commence les démarches pour faire enregistrer sa demande d'asile. En théorie, les demandeurs d'asile doivent se voir proposer un hébergement. Mais la pratique est tout autre : l'offre d'hébergement proposée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) consiste parfois à conseiller aux personnes d'appeler le 115. Un numéro, on le sait, très souvent saturé.

« J'allais régulièrement à l'Ofii, j'insistais car je savais que c'était mon droit d'être logé. Ils me demandaient de ne plus venir mais je revenais chaque semaine. Mais parfois, on vous fait savoir que vous n'êtes pas la priorité. En principe ils sont là pour ça, mais c'est vrai que parfois ils n'écoutent pas ce que nous disons. Je me demande : ''Pourquoi ?''. Et même si nous savons que c'est nos droits, nous préférons nous taire que de revendiquer trop. En tant qu'étranger, ce n'est pas facile de réclamer tous ses droits ».

« Il ne faut pas généraliser »

Mougnal tient cependant à toujours nuancer ses propos : « Si je dois blâmer quelqu'un, c'est mon pays. L’Etat français n'est pas responsable de mes problèmes. J’aurais aimé ne pas quitter ma famille, mes amis, mon travail, mais on n'a pas le choix. Je ne peux pas juger les gens comme responsables de mes problèmes. »

Il est également conscient des conditions de travail complexes et des effectifs réduits dans  les structures accueillant les demandeurs d'asile : « Il y a beaucoup de monde, beaucoup de stress, des personnes avec qui il est difficile de communiquer... Il y a des travailleurs sociaux qui nous comprennent et d'autres non, peut-être que ça dépend de leur expérience ou de leur milieu. Je relativise toujours car je n'aime pas juger. Sur dix, s'il y a deux ou trois personnes qui se comportent mal, il ne faut pas généraliser. »

"Vous imaginez, en hiver, ce que ça fait ?"

Mougnal admet que certains comportements l'ont interrogé. Dans un lieu d'hébergement d'urgence géré par une ONG, où il se rend régulièrement pour tenter d'obtenir une place, la plupart des travailleurs sociaux acceptent que les malchanceux du jour, ceux qui n'ont pu obtenir un lit, restent patienter dans le hall d'accueil pour recharger leur téléphone et se protéger du froid. Mais l'un d'entre eux, et seulement lui, met tout le monde dehors à chaque fois qu'il prend son poste. « Il arrivait et disait : ''Tous ceux qui n'ont pas de places, vous sortez !'' Je ne comprends pas. Vous imaginez, en hiver, ce que ça fait ? »

 

Le fait qu'elle soit sanctionnée à cause de nous, ça m'a beaucoup touché. » 

A l'inverse, Mougnal a vu d'autres travailleurs sociaux sanctionnés pour avoir outrepassé leur mission en apportant trop d'aide, à l'instar de cette travailleuse sociale d'un accueil de jour installé près du campement : « C'était interdit de nous donner de la nourriture et elle le faisait quand même. Parfois, elle préparait même chez elle. Ses responsables ont été informés qu'elle passait au campement, qu'elle discutait avec nous. Elle a été rappelée à l'ordre. Le fait qu'elle soit sanctionnée à cause de nous, ça m'a beaucoup touché. »

D'un extrême à l'autre, les travailleurs sociaux accueillant des personnes exilées semblent donc jouer de leur marge de manœuvre, certains paraissant tendre vers le contrôle ou l'abus de pouvoir, d'autres choisissant de détourner les règles pour agir selon ce qui leur semble le plus juste. Face à une réalité humanitaire et politique complexe, la personnalité et l'éthique de chaque travailleur social semblent influer, peut-être plus qu’ailleurs, sur les pratiques professionnelles.

Une intervention extérieure pour faire valoir ses droits

Mougnal a été directement confronté à cette réalité lorsqu'il a souhaité demander une autorisation de travail. Sur le papier, il réunissait tous les critères et avait préparé son dossier avec l'intervenante juridique du Cada. Mais arrivé à la préfecture, il se voit opposer un refus, l'agente lui prétextant que ces autorisations ne peuvent être délivrées qu'à des personnes n'étant pas en recours devant la CNDA. « Je voyais que sa collègue était mal à l'aise, mais elle n'a rien dit. » De retour au Cada, Mougnal explique la situation à l'intervenante juridique qui lui produit un écrit revenant sur la situation. A la préfecture, Mougnal tombe sur la même agente...qui accepte cette fois son dossier. « Il a fallu une intervenante extérieure pour que je sois en possession de mes droits. Ça aussi, ça m'a beaucoup marqué. »

"L'empathie, ça nous soulage"

Pour Mougnal, l'empathie qu'il trouve chez certains travailleurs sociaux est fondamentale: « Si la personne est empathique, si elle nous montre qu'on est intéressants, ça nous soulage. Si elle connaît notre vécu, ce qu'on a traversé, notre stress post-traumatique, etc., ça a des effets psychologiques : tu te sens épaulé, ça te rassure. » Il précise aussi qu'il est important de savoir que le travailleur social à qui il s'adresse a essayé de répondre à la demande, même si celle-ci aboutit sur un échec.

"C'est important de savoir que la personne s'inquiète" 

Une pratique qu'il apprécie chez les travailleuses sociales du Cada : « A force de travailler avec elles, on se rend compte que si l'on n'a pas obtenu ce qu'on voulait, c'est que ce n'était pas possible : elles ont demandé, mais elles n'ont pas obtenu. Ce ne sont pas elles qui décident, parfois. C'est important de savoir cela parce qu'on se dit qu'au moins la personne s'inquiète, qu'elle comprend. Ça met en évidence son humanisme : elle souffre en nous voyant, ça la met mal à l'aise donc elle essaie de se surpasser. »

Le droit à l'hébergement et le droit au travail

Interrogé sur ce qui pourrait être amélioré dans le système d'accueil des demandeurs d'asile, Mougnal, après avoir souligné la grande qualité du système de santé, insiste sur la nécessité d'être accompagné par des travailleurs sociaux et le droit à l'hébergement pour tous : « En principe nous avons tous les mêmes droits, mais toi tu es logé et ton ami n'est pas logé, comment est-ce possible ? Vous avez les mêmes droits, la même situation. Ça fait mal de voir quelqu'un souffrir, rester dans la même situation de stress et de galère. »

"On nous force à la paresse"

Il souhaiterait également que les autorisations de travail, actuellement délivrées au compte-goutte, soient plus répandues : « On nous force à la paresse. Si je reste assis comme ça un an, deux ans, trois ans, demain on va se demander si je suis une personne dynamique... » Conscient de ce que représente le coût de son hébergement pour l’État, Mougnal voudrait travailler légalement, et ainsi reverser sa part de cotisation. Accepter les aides est pour lui compliqu�� : « Je suis allé au Restos du Cœur ou au Secours Populaire. Là-bas, je ne trouve que des personnes âgées, des malades. J'avais honte. Peut-être que je suis un peu trop dur avec moi-même, mais je me dis que si je m'habitue à ça je m'habitue à tendre la main. »

Une situation kafkaïenne

Alors Mougnal a cherché et trouvé un emploi. Un employeur lui signe une promesse d'embauche en tant que commis de cuisine. Mougnal est diplômé en géographie mais qu'importe, il veut travailler. Il demande donc l'autorisation à la préfecture qui, après avoir rechigné a accepté son dossier comme expliqué ci-dessus, lui refuse l’autorisation au prétexte que certains Français pourraient correspondre au poste. « Sauf que l'employeur ne trouve pas... L'annonce est toujours là. On me refuse le poste pour un Français qui ne vient pas. » Une situation kafkaïenne, qui contraint Mougnal à attendre, sans pouvoir subvenir lui-même à ses besoins, le temps que la CNDA se prononce sur son sort.

Si on apprenait à mieux se connaître, ça changerait les choses. » 

Si sa demande d'asile est acceptée, il aimerait continuer sa formation en géographie, travailler, puis pouvoir faire venir sa femme et son enfant. « Notre plus grand souhait, c'est de nous intégrer. Et pour cela, il faut être en contact avec les accueillants, par la formation et par le travail. Quand je vois que les gens pensent qu'on ne rapportera rien à la France, ça me pose des questions. Ils ne te connaissent pas, ils ne se réfèrent qu'à ce qu'ils ont vu à la télévision donc ils ont des préjugés. Si on apprenait à mieux se connaître, ça changerait les choses. »

(1) Le prénom a été modifié

(2) C'est ainsi que se nomment entre eux les Africains Sub-sahariens qui voyagent vers l'Europe

 

Mougnal a tenu à rajouter ces quelques mots en conclusion :

« Je remercie toute les personnes qui  nous accompagnent dans nos démarches et qui se battent pour qu'on nous rétablissent dans nos droits. À travers eux nous gardons le sourire et l'espoir d'un lendemain meilleur. Nous leur sommes reconnaissants et les remercions du fond du cœur ! »

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des «usagers» de l'action sociale et médico-sociale est davantage et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.

 

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