[A voix haute] Se libérer pas à pas d'un mari violent

[A voix haute] Se libérer pas à pas d'un mari violent

27.04.2018

Action sociale

Notre série "A voix haute" donne la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : ceux qu'on nomme "usagers", "bénéficiaires" ou encore "personnes accompagnées''. Sofia témoigne de son parcours de combattante pour se libérer de l'emprise d'un mari violent et du soutien qu'elle a trouvé au sein d'un accueil de jour pour les femmes victimes de violence.

« Le 21 septembre je suis arrivée à l'accueil de jour (1) ; le 21 novembre j'ai eu un logement. Le nombre 21 me porte chance ! ». Si le 21 novembre est une date si importante pour Sofia (2), c'est que depuis ce jour, elle reprend pied. Elle a enfin un endroit où elle peut se dire : « Je suis chez moi. » Un endroit où commencer une nouvelle vie, après avoir vécu plus de dix ans sous l'emprise de son mari et de sa belle-famille.

Mariage forcé

Tout commence en 2006 en Algérie. La vie de Sofia, alors âgée de 23 ans, bascule lorsqu'elle apprend que sa mère a arrangé un mariage avec un homme vivant en France. Elle ne le connaît pas, n'a vu de lui qu'une photo. Il se rend en Algérie pour quinze jours, juste pour le mariage. Puis il retourne en France. « Le troisième jour, j'étais mariée. J'ai rien compris... Sur toutes les photos, j'ai les yeux rouges. Tout le monde savait que je n'avais pas envie de me marier, mais ma mère ne voulait rien entendre. »

« T'es ma femme, c'est pas un viol »

Un an plus tard, elle s'installe en France pour rejoindre ce mari inconnu. Au moment où elle emménage dans sa maison, elle ne se doute pas qu'elle ne sera plus libre de ses mouvements, durant dix ans. « J'étais enfermée dans la maison. Je n'avais pas le droit au téléphone et pas le droit de sortir. » Totalement isolée, Sofia passe ses journées à s'occuper des tâches ménagères et des enfants de son mari, nés d'une précédente union. Les violences psychologiques, physiques et sexuelles sont quotidiennes : « Il me rabaissait, il se foutait de ma gueule. La nuit, il entrait dans la chambre dans le noir, en fumant du shit. Je tournais mon visage. Il couchait avec moi de force. Quand je dormais, il me coinçait. Je le poussais. Quand je lui ai dit que c'était un viol, il a répondu : ''T'es ma femme, c'est pas un viol.'' »

Arsenal de techniques

Jour après jour, le mari de Sofia développe un arsenal de techniques pour isoler sa femme. Il lui donne un téléphone sans forfait et la force à se connecter au wi-fi de la maison en permanence. A tout moment, il peut l'appeler sur Skype pour vérifier qu'elle est bien présente. Il contrôle toutes ses communications : « Pour communiquer avec ma famille, c'est lui qui m'emmenait au taxiphone. Il surveillait les conversations que j'avais avec ma mère, il préparait en avance ce que je devais lui dire. Un jour, j'ai dit ''aide-moi'' à ma mère. Il a raccroché le téléphone de force et il m'a frappée. ».

Maintien en situation irrégulière

Il s'assure également de l'échec de toutes ses procédures administratives, conscient que la maintenir en situation irrégulière renforcera son emprise sur elle : « Si tu sors, la police va te prendre », lui dit-il. Il prend soin de ne pas lui donner les courriers, afin qu'elle rate certains rendez-vous en préfecture. Lorsqu'ils s'y rendent ensemble, il tient volontairement un discours opposé à celui attendu par les autorités françaises. « En rendez-vous, c'est lui qui parle. Et il sait comment faire pour que le dossier soit refusé. » La position de Sofia est intenable : devant les autorités, elle doit justifier que « les liens du couple sont solides », qu'elle aime cet homme qui la détruit au quotidien, pour tenter d'obtenir les papiers qui lui permettraient d'être plus indépendante et de se libérer de cet emprise. Le stratagème du mari fonctionne : Sofia reste sans-papiers pendant ces dix années.

« Sa famille m'appelait ''la chose'' »

La belle-famille, qui habite dans le quartier, participe à l'enfermement de Sofia : « J'étais encerclée. Sa mère, ses sœurs vivaient toutes autour de la maison. ». Elle n'est jamais conviée aux fêtes familiales. « Sa famille m'appelait ''la chose''. Et ''la chose'' n'était jamais invitée. Ils m'ont fait sentir que je ne valais rien. »

De temps en temps, Sofia travaille au noir : elle fait le ménage chez des connaissances de son mari. Elle doit lui reverser tout l'argent gagné : « Je n'avais pas le droit d'avoir de l'argent. S'il trouve un rond sur moi, il pète les plombs. Quand je n'ai pas d'argent, il est tranquille, il sait que je ne peux pas m'enfuir. »

Violence psychologique

La violence psychologique se niche aussi dans le quotidien, rendant la vie de Sofia insupportable : « Il me contrôle sur tout : quand j'achète un vêtement, il faut que je le mette tout de suite, sinon il dit :''Tu l'as acheté pour un autre homme, c'est ça ?'' Si je regarde la télévision, il me dit : ''Tu regardes les hommes !'' J'avais tout le temps une boule dans le ventre. Je ne pouvais pas respirer. »

Sofia tente de s'échapper à plusieurs reprises. La première fois, elle se réfugie chez un cousin. Mais celui-ci tente d'abuser d'elle. Sans soutien familial ni ressources, effrayée à chaque fois qu'elle croise la police car elle est en situation irrégulière, elle retourne chez son mari : « J'étais coincée. »

« Tout le monde était à l'écoute, attentionné »

Aidée par une amie à qui elle a pu parler, elle trouve le courage de s'enfuir pour de bon en 2017. Elle se cache un temps chez cette amie ou chez des connaissances à elle, puis pousse la porte d'un accueil de jour pour femmes victimes de violences. Une bouffée d'air : « C'était l'accueil que je n'attendais pas. Tout le monde était à l'écoute, attentionné. Je suis venu tous les jours, en attendant de trouver un logement. » Les travailleuses sociales se mobilisent pour aider Sofia dans la recherche d'un logement. Au bout de deux mois d'attente, la bonne nouvelle tombe : une structure d'hébergement a été trouvée. « Ici, on m'a donné la chance d'avoir un toit. Je n'y croyais plus, tout le monde m'avait fermé la porte, tout le monde me disait que je ne pourrais jamais obtenir mes droits. »

« Elles m'ont ouvert les bras quand j'étais à la rue »

Sofia trouve auprès des travailleuses sociales de cette structure le soutien et la confiance dont elle a manqué depuis son arrivée en France. « Tout le monde m'a lâchée. Mais elles, elles ne m'ont jamais lâchée. Elles ont tenu leur parole. Elles m'ont dit : ''On sera toujours derrière toi.'' J'étais faible quand je suis arrivée ici. C'est ici que j'ai appris à être forte. » Sofia sait que le chemin est encore long, mais sa rage d'avancer est sans limite. Elle est cependant bloquée sur de nombreux points par sa situation administrative : la demande de titre de séjour est encore en cours d'instruction. « J'aime pas rester à la maison. J'ai envie de travailler, faire des projets. Mais pour l'instant, je n'ai pas le droit. Certains me disent qu'avec mon énergie, je devrais être avocate ! »

Une chose est sûre, si la préfecture lui répond favorablement, elle viendra illico annoncer la nouvelle aux travailleuses sociales de l'accueil de jour : « Quand j'obtiens le récépissé ou le titre de séjour je fais une fête ici ! Elles sont très importantes pour moi. Elles m'ont ouvert les bras quand j'étais vraiment à la rue. »

 
(1) L'accueil de jour n'est pas nommé, sur demande de Sofia.
(2) Le prénom et certains détails ont été modifiés.
 
 
Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des «usagers» de l'action sociale et médico-sociale est davantage et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter

 

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